Le sommet de la FAO sur la sécurité alimentaire a refermé ses portes à Rome au terme de trois jours de débats marqués par l’absence de la plupart des dirigeants des pays du G8. Au cours d’une conférence de presse, le directeur général de l’organisation, Jacques Diouf, a appelé à agir rapidement car, si on veut éradiquer la faim et passer des paroles aux actes, les pauvres et les affamés ne peuvent pas attendre. Une réunion décevante selon plusieurs ONG : le document final ne contient en effet ni engagement chiffré, ni calendrier, ni date butoir. Ce cinquième sommet sur la sécurité alimentaire en treize ans suscite l’indignation des ONG qui dénoncent collectivement «l’absence d’engagements concrets». Il a été marqué par la politique de la chaise vide des dirigeants du G8. Seule l’Italie qui accueillait la réunion était représentée par son chef du gouvernement, Silvio Berlusconi, qui, grâce à cela a échappé à la réouverture d’un procès prévue le même jour à Milan et reporté de ce fait au 18 janvier. Mais le Vatican était présent….
Lundi, devant le Sommet mondial de l’alimentation, le pape a lancé un appel vibrant pour «éliminer la faim de ce monde». «Même si la production agricole est faible dans certaines régions (…), elle est globalement suffisante pour satisfaire la demande actuelle comme celle qui est prévue à l’avenir», a déclaré Benoît XVI. La planète produit «assez pour nourrir tous ses habitants, aujourd’hui comme demain». La communauté internationale a le «devoir moral» d’agir pour mettre fin au spectacle du milliard d’êtres humains (un habitant sur six de la planète) souffrant de la faim et à la croissance «dramatique» de leur nombre (200 millions de plus en cinq ans). En continuité avec l’encyclique Caritas in Veritate et avec l’enseignement de ses prédécesseurs, le Pape répète que le drame de la pauvreté – dont « la faim est le signe le plus cruel et concret » – ne dépend pas de la croissance de la population. C’est une donnée acquise et qui n’est niée que par des motivations idéologiques ou par la défense d’intérêts et de privilèges. Paul VI l’avait déjà dit dans deux encycliques sœurs en défense de la vie humaine (Populorum Progressio et Humanae Vitae), Jean-Paul II l’a ensuite répété plusieurs fois et leur successeur le répète aujourd’hui, fort d’un consensus qui commence à présent à se diffuser également au sein des organismes internationaux.
Je tiens personnellement à rappeler au pape, que le Vatican fut le vecteur spirituel et religieux essentiel de la construction européenne et donc de sa politique agricole. La PAC a été l’un des fondements de la construction européenne. Elle a été une incontestable réussite sous certains aspects : modernisation de l’agriculture, développement de la production, immenses gains de productivité qui ont fait de l’Union le 2e exportateur mondial.
La politique européenne a une forte influence sur les marchés mondiaux et donc sur les agricultures du monde entier. Si elle peut représenter pour les pays du Sud un modèle car elle a permis d’assurer l’autosuffisance alimentaire de l’Europe à la sortie de la guerre, elle constitue également une menace en réduisant leur capacité à nourrir leurs populations. Certaines exportations et importations ont un impact négatif sur les agricultures au Sud : concurrence déloyale par le biais des subventions aux exportations, impact social et environnemental des monocultures d’exportations au Sud pour répondre à la dépendance européenne en protéines…. Et tout cela dans un contexte de libéralisation des marchés mondiaux qui laisse sans défense les paysans du Sud et rend encore plus cruelle la flambée des prix alimentaires et encore on ne parle pas des biocarburants…
La France fille aînée de l’Eglise, âme de l’Europe avec un chanoine à sa tête et des représentants français au FMI (Dominique Strauss-Kahn) et à l’OMC (Pascal Lamy) peut être considérée comme le relais politique du Vatican. Au désastre de la Politique Agricole Commune pour les pays pauvres se rajoute à celui du FMI. Dans son développement sur le monde rural et le droit à l’alimentation, Jean Ziegler met au banc des accusés, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. « Nous sortons d’une très longue période d’erreurs durant laquelle, ces deux institutions ont mené des politiques criminelles en éliminant l’agriculture locale en faveur des importations », regrette-t-il. En effet, le Fond Monétaire International , est cet organisme mondial au service exclusif, du libéralisme capitaliste qui a fait des ravages sociaux et économiques dans de multiples pays, notamment en Afrique ou en Amérique Latine. Utilisant le chantage au rééchelonnement de la dette des pays pauvres, il contraint leurs gouvernements à appliquer des « politiques d’ajustement structurel » : réduction des dépenses sociales, privatisation des services publics et des ressources naturelles au profit des multinationales occidentales, dislocation des systèmes de retraites, attaques massives contre les salaires et les acquis sociaux des couches populaires, etc. La mise en oeuvre de ces « recettes » criminelles produit systématiquement les mêmes résultats : destruction des économies locales, augmentation de la précarité, ruine des populations, misère et famine.
Au début des années 1980, le FMI et la Banque mondiale se découvrent une nouvelle vocation : ajuster les structures socioéconomiques des pays du tiers-monde aux règles de cette nouvelle phase du capitalisme contemporain appelée globalisation. Ce système, dominé par une poignée d’oligopoles, dont celui de l’agrobusiness, vise à englober dans un marché planétaire déréglementé toutes les ressources de la planète, y compris les produits alimentaires désormais considérés comme des marchandises comme les autres. Le FMI et la Banque mondiale travailleront de concert pour ajuster les structures socioéconomiques des pays du tiers-monde à ce marché globalitaire qui met en concurrence les riches et les pauvres, les forts et les faibles.
Pour atteindre cet objectif, les deux sœurs négocieront avec les gouvernants du tiers-monde, que le surendettement a rendus dociles, des protocoles secrets appelés Policy Framework Papers. Ce sont les sinistres Programmes d’ajustement structurel, véritables coups d’État feutrés, perpétrés à l’insu des populations. En apposant leur signature sur ces « papiers » confidentiels, les élites politiques s’obligent à favoriser les cultures d’exportation au détriment de l’agriculture vivrière. Le but : générer les devises nécessaires au service de la dette et à l’achat de nourriture produite à meilleurs coûts dans d’autres pays. Elles s’engagent, de ce fait, à ouvrir grandes leurs frontières aux produits agricoles étrangers. C’est la ruine progressive de l’agriculture paysanne. C’est la ruine aussi d’une industrie alimentaire naissante qui ne peut concurrencer l’avalanche de lait en poudre et de poulets européens et brésiliens qui déferle sur le marché intérieur.
A la fin de la décennie 1990, le FMI et la Banque mondiale, en perte de légitimité, délaissent finalement la stratégie des PAS. C’est alors qu’entre en scène l’OMC, qui prend le relais de la désorganisation des systèmes alimentaires nationaux par le biais de l’Accord sur l’agriculture.
L’Accord mondial sur l’agriculture régi par l’OMC n’a pas pour but, comme on pourrait s’y attendre, d’assurer une alimentation saine et suffisante à tous les habitants de la planète, mais plutôt — stupéfiant paradoxe ! — de limiter le droit des gouvernements à soutenir et à protéger leur agriculture. Incroyable, mais vrai : le préambule de l’Accord stipule en toutes lettres que son objectif est de « parvenir par un processus suivi s’étendant sur une période convenue à des réductions progressives et substantielles du soutien et de la protection de l’agriculture ».
Pour atteindre cet objectif de non-protection de l’agriculture et de non-souveraineté alimentaire, l’Accord rend obligatoires trois séries de mesures : 1. le libre accès au marché national des produits agricoles étrangers ; 2. la diminution progressive des soutiens internes à l’agriculture ; 3. l’élimination progressive du dumping et des subventions à l’exportation.
Pour en arriver à cette « réduction progressive et substantielle » des soutiens à l’agriculture, les négociations s’avéreront ardues. Car bientôt les pays du Sud prendront acte de la duplicité des pays riches. Ceux-ci en effet, tout en faisant pression sur les pays du tiers-monde pour qu’ils appliquent la mesure 1, trichent effrontément sur la mesure 3, en subventionnant leurs agriculteurs à raison de 360 milliards de dollars annuellement. Ce qui se traduit par un dumping massif de leurs produits agricoles dans les pays du Sud.
Le problème s’est avéré si crucial, que pour la première fois depuis la création de l’OMC, les pays du tiers-monde, regroupés sous diverses bannières, se sont rebellés contre les diktats de l’Organisation. Depuis les réunions ministérielles de l’OMC, à Doha en 2001 et à Cancún en 2003, on assiste à une véritable fronde des pays sous-développés et émergents qui voient le piège se refermer sur eux et se sentent capables de briser l’étau. L’OMC s’en trouve déstabilisée. Mais le mal est fait : même si la mise en œuvre de l’Accord sur l’agriculture n’est encore que partielle, ses effets pervers se font sentir partout sur la planète et en particulier dans les pays les plus pauvres, qui accusent une dépendance alimentaire croissante.
L’action spirituelle du Vatican en Europe produit un arbre dont on peut juger la nature à la vue des fruits qu’il porte et ils ne sont pas ceux du Saint-Esprit ça c’est certain.